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9 février 2017 4 09 /02 /février /2017 19:50

 

http://www.revue-ballast.fr/jean-luc-melenchon-limmigration-entre-convictions

 

Jean-Luc Mélenchon et l’immigration entre convictions et ambiguïtés

 

Texte inédit pour le site de Ballast

 

Sur le fond comme sur la forme, Jean-Luc Mélenchon ne laisse personne indifférent et n’en finit pas d’alimenter, au fil de ses prises de position, les débats qui traversent le vaste camp de l’émancipation, espoir d’une présidentielle dissidente pour les uns, notable réformiste pour les autres, et chacun de s’accrocher sur la Syrie, le traité de Maastricht, Vladimir Poutine, la stratégie populiste, le foulard à l’école ou son fidèle soutien à François Mitterrand. Nous savons son verbe haut et son parcours, d’ancien sénateur socialiste au candidat autonome du mouvement de la France Insoumise, n’y revenons pas.

Cet article s’attarde sur l’évolution du discours de Jean-Luc Mélenchon en matière d’immigration, entre le Front De Gauche (FDG) de 2012 et l’actuelle campagne. Ces derniers mois, ce glissement lui valut, à gauche, de fortes critiques, qu’il rejeta, « une poignée de gauchistes et de gens malveillants ». Jusqu’où peut-on parler de changement dans son propos ? Quelles pourraient en être les conséquences politiques et électorales ? L’auteur du présent article apporte ses réponses.

 

Par Pablo Castaño Tierno

 

Le 13 avril 2012, à Marseille, devant une foule de plus de cent mille personnes, Jean-Luc Mélenchon soutient que le métissage est une chance pour la France et refuse absolument l’idée morbide et paranoïaque du choc des civilisations, provoquant les applaudissements enthousiastes du public.

Cette célébration de la diversité culturelle et de l’immigration figure dans le programme de l'humain d’abord, où l’on peut lire que la présence des immigrés en France n’est pas un problème, ou encore que l'immigration zéro est un mythe qui divise et affaiblit notre pays.

Quant à l’accueil des personnes réfugiées, le programme affirme que « nous respecterons scrupuleusement le droit d’asile qui sera déconnecté des politiques migratoires ». Cinq ans plus tard, dans le programme du mouvement de la France Insoumise, l'avenir en commun, le sujet de la migration n’est plus abordé depuis la perspective des droits et des problèmes soufferts par les migrants et réfugiés. La priorité consiste désormais à lutter contre les causes des migrations, titre de la section dédiée à la politique migratoire. Si le programme inclut l’amélioration des moyens civils de sauvetage en mer Méditerranée et le respect du droit d’asile, nous n'y trouvons plus de mesures précises pour le garantir, ni pour faciliter l’accès à un titre de séjour ou à la nationalité française. Pourtant, des propositions existaient dans le programme de 2012. Plus surprenant, le programme du mouvement de la France Insoumise n’inclut pas la fermeture des centres de rétention d’étrangers.

Ces derniers mois, certaines des interventions publiques de Jean-Luc Mélenchon sur ces questions ont soulevé, à gauche, de vives critiques. Commentant la décision du gouvernement allemand d’accueillir huit cent mille réfugiés en un an, le candidat du mouvement de la France Insoumise assure que « nous devons les accueillir pour la raison qu’il n’y a aucune autre solution rationnelle », mais il prend soin d’ajouter que « nous ne pouvons pas faire face à la situation avec de telles méthodes. Il faut donc dissuader les gens de partir en leur donnant des raisons de rester ». Au lieu de louer le fait que le gouvernement allemand accueille un grand nombre de réfugiés, Jean Luc Mélenchon estime donc que ce n’est pas la bonne méthode. Et tandis qu’il appelle à répartir les migrants de la jungle de Calais sur l’ensemble du territoire, qu’il qualifie comme étant « une charge qui devrait revenir à la patrie toute entière », Jean Luc Mélenchon plaide pour une régularisation des travailleurs sans-papiers en déclarant que « je n’ai jamais été pour la liberté d’installation et je ne vais pas commencer aujourd’hui. Est-ce que, s’il venait dix mille médecins s’installer en France, ce serait une chance, oui ». Deux mois après, le 15 novembre 2016, il se rétracte et concède avoir dit une bêtise.

Sur la question de l’islamophobie, cette fois-ci, le candidat écrit dans un tweet daté du 24 août 2016, « dans notre pays, nous avons persécuté les juifs, puis les protestants et aujourd’hui les musulmans. La solution, c’est la laïcité ». Il s’éloignera de cette ligne lorsque le journaliste Jean-Jacques Bourdin l’interrogera sur cette déclaration, lors de la polémique sur le burkini, en rétorquant aux pratiquants, « foutez-nous la paix avec vos histoires de religion ». Le tweet du 24 août 2016 est alors évincé au profit d’un discours résumant l’affaire du burkini à une histoire de religion, esquivant la question de la violation des libertés fondamentales et du racisme institutionnel. Le 5 juillet 2016, Jean-Luc Mélenchon lançait au parlement européen que « je crois que l’Europe qui a été construite, c’est une Europe de la violence sociale, comme nous le voyons dans chaque pays chaque fois qu’arrive un travailleur détaché qui vole son pain aux travailleurs qui se trouvent sur place ». D’après Libération, il regrettera ces mots en privé.

Mais le 9 octobre 2016, il confie au Grand Jury de Radio Télévision Luxembourg (RTL) que « plus un travailleur détaché n’entrera dans notre pays », s’il est élu, puis publie cette phrase sur son compte Twitter. Au lieu d’accuser les patrons qui pratiquent le dumping social via le travail détaché, le député européen use d’une rhétorique équivoque. Ces travailleurs semblent être coupables de la situation, alors qu’ils en sont les premières victimes. Du reste, ainsi que le souligne un syndicaliste bien au fait de la question du travail détaché, il s’avère surprenant d’entendre à ce point parler de cette forme de dumping social mais beaucoup moins de « la sous-traitance franco-française », ce contrat par lequel une entreprise demande à une autre de réaliser une partie de sa production, détériorant bien souvent les conditions de travail des salariés.

Nous pourrions accumuler les citations. La conclusion s’impose néanmoins. La position du candidat vis-à-vis de l’immigration est aujourd’hui bien plus ambiguë qu’en 2012. Jean Luc Mélenchon paraît volontiers sur la défensive, n’osant pas défier le discours dominant en matière de migration et de droit d’asile, imposé par l’extrême droite et relayé par les Républicains comme par toute une frange du Parti Socialiste. Ce changement, nous l’avons dit, lui valut de fortes critiques à gauche et certains des portes paroles du mouvement de la France Insoumise choisissent la stratégie de la réduction à l’absurde afin d’y répondre. Ainsi, Raquel Garrido a avancé « qu'on ne nous fera pas passer pour des racistes ». De même, un autre proche de Jean Luc Mélenchon dit que « ce monde devient fou, on tente de faire croire que nous sommes devenus racistes ». Jean-Luc Mélenchon a quant à lui attribué le harcèlement dont il souffre sur ces questions à une poignée de gauchistes et de gens malveillants. Ces déclarations suggèrent qu’il n’y aurait que deux positions possibles face aux positions de Jean-Luc Mélenchon, être entièrement d’accord ou le tenir pour raciste. La réduction à l’absurde, stratégie bien maladroite en vue d’esquiver la discussion, consiste ici à faire passer une critique légitime pour une insulte, tout en mettant au même niveau les adversaires politiques du mouvement de la France Insoumise et celles et ceux qui soutiennent, quoique de façon critique, sa candidature. Dans quelle mesure l’ambiguïté de l’ancien sénateur vis-à-vis de l’immigration constitue-t-elle à la fois une erreur politique et une erreur de stratégie électorale ?

Ces derniers mois, Jean-Luc Mélenchon a affirmé à plusieurs reprises le besoin de construire un populisme de gauche et il a reçu le soutien de Chantal Mouffe, théoricienne belge du populisme, aux côtés d’Ernesto Laclau. L’une des principales prémisses théoriques de la pensée de Chantal Mouffe et d'Ernesto Laclau est que le discours constitue la réalité sociale.

Cette notion peut paraître abstraite, mais elle opère d’une manière douloureusement concrète sur le terrain de la xénophobie et du racisme. Au Royaume-Uni, le débat public, durant la campagne du référendum sur le Brexit, s’est vu submerger par une parole ouvertement xénophobe. Les agressions, dont un meurtre, contre les étrangers et les minorités ethniques se sont multipliées, principalement dans les jours qui ont suivi la victoire du oui. Le même phénomène s’est produit aux États-Unis à la suite de l’élection de Donald Trump.

Dans les deux cas, les agressions homophobes et transphobes ont augmenté. Lorsque la haine se manifeste, ce sont toujours les mêmes groupes qui en sont les victimes.

En France, les agressions xénophobes et racistes, notamment islamophobes, sont en hausse. Lorsque Jean-Luc Mélenchon soutient sur Twitter que les musulmans sont persécutés en France, il devient le seul candidat présidentiel de premier plan à dénoncer ce grave problème. Mais en n’osant pas le répéter ni l’expliquer sur BFM Télévision, face à Jean-Jacques Bourdin, il laisse à nouveau tout l’espace du débat public à ceux qui nient la montée de l’islamophobie en France. L’idée que l’ambiguïté de Jean Luc Mélenchon soit un choix conscient a été avancée par Olivier Besancenot et ouvertement revendiquée par un cadre anonyme du mouvement de la France Insoumise, expliquant à un journaliste du Figaro « qu'il faut être réaliste. Si nous adoptons la même ligne que les formations d’extrême gauche sur l’immigration, dans le contexte actuel, nous sommes morts politiquement ». Depuis la publication du livre-programme de l'avenir en commun, il ne fait plus aucun doute qu’il s’agisse d’une stratégie consciente.

Semblable manque de courage, proposer un discours alternatif à ceux qui dominent sur ces sujets, n’est pas seulement une erreur politique et éthique, mais une erreur du strict point de vue électoral et pour plusieurs raisons. Il est inutile d’essayer de concurrencer les Républicains et le Front National sur leur terrain. Jean Luc Mélenchon n’est pas soupçonnable, à le lire ou l’écouter depuis des années, de racisme ni de xénophobie. Il paraît très improbable, dès lors, que des racistes convaincus s’en aillent voter pour lui. Le petit pourcentage d’électeurs pour lesquels l’immigration s’avère le principal problème de la France, onze pour cent, d’après un sondage du CEVIPOF, préférera toujours d’autres candidats, comme Marine Le Pen ou François Fillon.

Pourquoi tenter d’attirer à soi ces onze pour cent plutôt que de se concentrer sur le reste de l’électorat, pour qui l’immigration n’est que le troisième problème du pays, bien loin derrière le chômage et la sécurité ?

L’ambivalence de Jean-Luc Mélenchon comporte pour lui le risque de se mettre à dos nombre d’électeurs de gauche et constitue une arme précieuse pour ses opposants politiques et médiatiques, comme l’a démontré le scandale suite à ses propos sur les travailleurs détachés.

Il ne s’agit pas tant de s’offusquer de l’injustice des médias qui réagiraient davantage aux sorties de Jean Luc Mélenchon qu’à celles, clairement racistes, des autres candidats. La meilleure façon d’éviter le scandale serait de retrouver quelque clarté dans son message. Ce discours confus pourrait d’ailleurs poser un grave problème si Jean-Luc Mélenchon parvenait au second tour de la présidentielle face à Marine Le Pen. Que fera-t-il lorsque la candidate frontiste tempêtera sur les questions d’immigration et d’identité nationale ? S’il escompte mobiliser l’électorat sensible à son projet politique émancipateur, le candidat du mouvement de la France Insoumise aura besoin d’un discours diamétralement opposé à celui de Marine Le Pen.

Dimanche 5 Février 2017, en meeting à Lyon, Jean Luc Mélenchon s’est opposé de façon très nette au projet du Front National visant à restreindre l’accès des enfants d’étrangers à l’école publique.

Espérons que cette fermeté se prolonge dans la campagne présidentielle.

La position singulière qu’il occupe, sa popularité, sa base militante active et son bagage de candidat qui avait, en 2012, obtenu le score le plus élevé, dans la gauche critique, depuis de nombreuses années, devrait lui permettre de défier de façon nette le discours hégémonique sur l’immigration. Ce serait une irresponsabilité historique de ne pas le faire. Bernie Sanders et Jeremy Corbyn, leaders de la gauche radicale dans des pays également rongés par le rejet, les tensions communautaires et la discrimination, n’ont jamais tergiversé sur ces questions.

Pour preuve, lors de sa première déclaration suite à l’élection de Donald Trump, le sénateur démocrate a averti que « s'il entend mener des politiques racistes, sexistes, xénophobes et contre l’environnement, nous nous opposerons vigoureusement à lui ». De son côté, le leader du parti travailliste britannique a fait savoir que la réduction de l’immigration n’était pas un objectif à ses yeux, quand bien même cela constituait une obsession pour les conservateurs britanniques, qui plus est au lendemain du Brexit. Si l’argumentaire déployé par Jean-Luc Mélenchon en 2012 consistait à montrer qu’il était possible de revendiquer les notions de patrie ou de peuple tout en célébrant sans trembler l’immigration comme source de diversité culturelle et de richesses, ses positionnements actuels ne font que renforcer l’allergie que l’extrême gauche nourrit à l’endroit de tout récit national.

Au regard des forces en présence et du cadre fixé par l’élection présidentielle, la candidature du mouvement de la France Insoumise constitue pourtant, à l’heure qu’il est, la principale espérance pour 2017. Mais il est impossible de gagner le pouvoir politique sans entamer la bataille des idées, comme le théoricien marxiste italien Antonio Gramsci le soulignait, surtout depuis la porte grande ouverte par l’accession au pouvoir de Donald Trump. L’immigration et l’identité nationale se trouvent, déplorons-le, au centre du débat politique. Tout candidat qui entend construire une majorité politique doit afficher une position claire, ce qui ne signifie en rien qu’il faille en faire une priorité de campagne. Benoît Hamon, désormais concurrent sérieux de Jean-Luc Mélenchon, a affirmé que la France doit accueillir plus de migrants. Son programme revendique des mesures précises, notamment en termes de droit d’asile. Nous ne saurions imaginer que Jean Luc Mélenchon soit moins progressiste que le Parti Socialiste en la matière.

Pour tenir tête à la vague identitaire, il ne suffit pas d’en appeler au devoir humanitaire, sauver les victimes des naufrages, et expliquer les causes ultimes des migrations, comme Jean Luc Mélenchon le fait à chaque fois qu’on lui pose une question sur le sujet. Défier un discours implique surtout d’attaquer les idées sur lesquelles celui-ci se structure.

Rappeler, par exemple, que moins de neuf pour cent des résidents en France sont étrangers, qu’il est absurde d’accuser les étrangers de voler à la fois le travail des français et de profiter des allocations sociales, que la France accueille un nombre infime de réfugiés, un peu plus d'un pour dix mille habitants, ou que la migration constitue une contribution positive pour le système de protection social français. Si l’on est convaincu que le peuple français a cru les mensonges propagés par l’extrême droite sur l’immigration, cela ne vaut pas la peine de se présenter aux élections et le Front National et ses émules ont déjà gagné. Si, au contraire, on pense que les discours de haine peuvent être affrontés puis désarmés, Jean-Luc Mélenchon a dès lors la responsabilité historique de faire entendre une voix dissonante, plus franchement qu’il ne l’a fait jusqu’ici.

 

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